Interview d’Étienne Schneider avec le Quotidien

"Le Luxembourg prend plus de place dans l'espace"

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: Le Luxembourg est le premier pays européen à annoncer son intention d'établir un cadre légal pour axploitation minière de l'espace. C'est une diversification inattendue. Comment vous est venue cette idée?

Étienne Schneider: Il y a trois ans, j'ai effectué pour la première fois une visite à la NASA en Californie où j'ai rencontré son patron qui m'a parlé de toutes les opportunités qu'ils attendent de l'espace. Je me suis dit d'abord qu'il était doux-dingue. Mais il a insisté et m'a fait rencontrer plusieurs entrepreneurs et investisseurs intéressés par ces nouvelles activités spatiales. J'ai participé à une conférence où j'ai posé des tas de questions et j'ai vu la dynamique qui était là-derrière et les gens derrière le capital : le fondateur de Google, celui de SpaceX et Tesla, et d'autres encore. Des visionnaires qui ont réussi ou qui vont clairement réussir parce que l'électromobilité c'est l'avenir en ce qui concerne Tesla. Finalement, on m'a proposé d'organiser un colloque international de travail, ici à Luxembourg, qui s'est déroulé en mars de l'année passée. Nous avions 150 participants dont des membres du Congrès américain venus voir ce que l'on fabriquait ici. À la suite de ce colloque, nous avons pris contact avec des investisseurs potentiels et enfin, en octobre dernier, je me suis rendu à une conférence à Austin sur le sujet et après ça je me suis décidé.

Le Quotidien: Avez-vous rapidement trouvé des candidats?

Étienne Schneider: Dès que notre décision était prise, Deep Space Industries .(DSI) s'est montrée intéressée et depuis, elle a ouvert une société au Luxembourg et nous sommes en train de négocier avec Planetary Resources, dont l'un des partenaires est Larry Page, fondateur de Google, et là nous envisageons une participation au capital de cette société. Depuis que nous avons présenté notre projet en conférence de presse, les médias internationaux se sont emparés du sujet. Certains étaient moqueurs... Oui, certains commentaires visaient la petite taille du pays, mais je réponds toujours que le Luxembourg prend plus de place dans l'espace que sur Terre. Il faut que quelqu'un prenne le lead et, surtout, éviter que les Américains ne monopolisent ce marché.

Le Quotidien: Où en est le projet pour l'instant?

Étienne Schneider: Nous avons mis en place un advisory board avec l'ancien chef de l'agence spatiale européenne Jean-Jacques Dordain et un autre grand nom international de l'espace va nous rejoindre dans deux mois et un troisième qui viendra si tout va bien de Chine. On essaye de se lancer à un niveau international et nous aurons certainement des coopérations avec d'autres pays parce que nous avons vraiment envie de réussir. Et pour cela, il faut fédérer tous les intérêts dans le projet et mettre en place d'abord un cadre légal que l'on est en train de préparer.

Le Quotidien: À quel succès vous attendez-vous? Un SES bis?

Étienne Schneider: Vous savez, à l'époque, personne ne croyait à SES Astra parce que leur antenne râteau fonctionnait très bien sur le toit pour une dizaine de chaînes. Personne ne pensait qu'un jour on aurait accès à 1 000 chaînes mondiales et que bien d'autres services passeraient par l'utilisation des satellites. Cette exploitation de l'espace ira dans la même direction. Il est prématuré de dire à quel moment ce secteur sera bénéficiaire, car cela prendra certainement quelques dizaines d'années avant que cela ne soit un vrai business. Il faut le préparer maintenant.

Le Quotidien: Cette conquête des matériaux de l'espace colle parfaitement â la troisième révolution industrielle de Rifkin...

Étienne Schneider: Absolument. Cette révolution sera basée sur les technologies de communication. Pour produire les smart phones, les ordinateurs, bref le hardware, nous avons besoin des terres rares dont 90% des réserves se trouvent sur le territoire chinois. À l'avenir, nous aurons besoin massivement de ces terres rares qui vont s'épuiser sur Terre. On estime que sur 10% des objets célestes, il y a des masses de terres rares. Il faut aller les récupérer, les ramener sur Terre et les utiliser pour le développement du hardware nécessaire à la communication.

Le Quotidien: Dans un courrier que vous aviez adressé à Jean-Claude Juncker encore Premier ministre, vous proposiez de faciliter la vie des entreprises. Où en est la simplification administrative?

Étienne Schneider: La loi Omnibus 1 a traîné un an au Conseil d'État et on devrait pouvoir la voter très bientôt. On négocie sur la loi Omnibus 2 qui sera prête dans les mois prochains.

Le Quotidien: D'une manière générale, avez-vous les coudées plus franches dans ce gouvernement?

Étienne Schneider: Je dois dire que dans ce gouvernement, beaucoup ont le feeling de l'économie. Quand j'ai proposé de nous lancer dans les ressources spatiales, il n'y a eu aucune objection même s'ils m'ont pris pour un fou. Dans le domaine de l'Économie, personne ne me met des freins.

Le Quotidien: Vous voulez que chaque acteur de la société participe à une étude publique sur la troisième révolution industrielle en formant des groupes de travail. Cela fonctionne?

Étienne Schneider: Les groupes de travail sont en train de se constituer. Je dois mener des discussions avec les syndicats, car ils hésitent encore à participer, or je souhaite vraiment que cette révolution industrielle soit préparée par tout le monde et pas seulement par le ministère de l'Économie et la Chambre de commerce. Certains ont encore des problèmes à se lancer car ils ne voient pas où ça va aboutir. On nous reproche toujours de ne pas assez dialoguer, mais là, je les invite de tout coeur à venir participer dès le début. Je ne veux perdre aucune idée dans ce processus. Je veux créer cette révolution sur un modèle qui soit soutenu et porté par la société civile.

Le Quotidien: Sur quoi porteront ces discussions concrètement?

Étienne Schneider: Je vous donne un exemple : Uber. Je suis jeune, je suis connecté, j'ai une voiture et je me lance dans ce business. Mais qui assure ce chauffeur? Comment l'assurer? Comment se présentera sa retraite?

Il y a plein de questions à gérer. Pour le télétravail, c'est pareil. Autre exemple : prenez booking.com, c'est une nouvelle économie aussi. Tous les hôteliers lui paient une taxe, ce qui représente 5 milliards d'euros qui quittent l'Europe pour booking.com aux États-Unis. C'est une fuite de capital qui n'existait pas avant. Comment contrebalancer ceci, éviter que tous ces nouveaux développements écovomiques se fassent en dehors de l'Union européenne? Il faut se donner un modèle pour réagir et faire en sorte que la croissance économique reste en Europe.

Le Quotidien: Vous citez Uber, pourquoi ne voit -t -on pas le phénomène débarquer au Luxembourg?

Étienne Schneider: Je n'en ai aucune idée. Je me suis posé la question, mais je n'ai pas la réponse.

Le Quotidien: Vous osez dire dans un pays qui a le culte de la voiture qu'elle ne sera plus nécessaire â l'avenir...

Étienne Schneider: Oui, à l'avenir, dans cette troisième révolution, les gens n'auront plus besoin de voiture, ils auront besoin de mobilité. Ils ne voient plus pourquoi dépenser pour l'achat d'une voiture, son entretient son emplacement de parking. A l'avenir, on utilisera le smartphone pour s'organiser une mobilité le moment voulu et à l'endroit voulu. On paie ce qu'on utilise. C'est le modèle de l'avenir et il y aura un - développement dans ce sens aussi au Luxembourg.

Le Quotidien: Le secteur de la logistique emploie 13.000 personnes et celui des TIC en compte 18 000. Comment ces deux secteurs sont appelés à se développer à l'avenir?

Étienne Schneider: Ces secteurs sont bien sûr appelés à se développer et d'ailleurs, il y aura des annonces très prochainement dans le domaine de la logistique. Mais je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui.

Le Quotidien: Les discussions relatives â l'organisation du temps de travail sont dans l'impasse, patronat et syndicats ne trouvent pas d'actord. De quel côté penche le coeur du ministre de l'Économie?

Étienne Schneider: On espère encore aboutir à un accord avec cette réunion de la dernière chance. Je comprends les patrons qui ont besoin de plus de flexibilité dans l'organisation du travail parce que le monde a changé. C'est clair, c'est net, c'est vrai. Mais je comprends aussi les syndicats qui ne s'opposent pas à cette flexibilité mais qui exigent alors une contrepartie. Je leur donne raison aussi. Mais trouver l'équilibre, savoir combien vaut cette flexibilité pour les uns et les autres, c'est toute la difficulté.

Le Quotidien: Pas de tranche indiciaire en vue. Laurent Mosar a dit, la semaine dernière à la Chambre des députés, que vous serez le premier ministre de l'Économie à éviter le versement d'une tranche indiciaire pendant toute une législature. C'est effectivement ce à quoi il faut s'attendre?

Étienne Schneider: Lors du départ à la retraite de Nicolas Soisson, Robert Goebbels avait indiqué toutes les tranches indiciaires que les différents ministres de l'Économie ont connues au cours de leur mandat. Une par an pour chacun sauf pour Henri Grethen qui en a eu une de plus! Robert Goebbels disait que pendant toutes ces années, les gouvernements n'arrêtaient pas de moduler l'indexation et depuis que j'ai rétabli le mécanisme automatique d'indexation, il n'y en a plus eu. L'index est un moyen de réagir à l'inflation, mais nous n'en avons pas. Les produits à base de pétrole ont baissé et dans le calcul de notre panier, nous n'avons pas eu de déclenchement de tranches indiciaires. On parle de la fin 2016, mais je ne m'y aventure plus. En revanche, on fait une réforme fiscale qui donnera du pouvoir d'achat aux gens et avant tout aux classes inférieures et moyennes.

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