Interview de Francine Closener avec le paperJam

"Il est important de démystifier les choses pour les PME"

Interview: Paperjam

Paperjam: Le 3e plan pour les PME mené par le précédent gouvernement attendait son successeur depuis quelques années. Comment est né ce e plan?

Francine Closener: Les trois premiers plans ont bien fonctionné, mais il fallait continuer en impliquant davantage les acteurs euxmêmes. C'est ce que nous avons fait. Nous avons donc en premier lieu entrepris la démarche de faire des entrevues et des consultations avec les chambres professionnelles, mais aussi les entrepreneurs pour avoir des idées et des impressions venant directement du terrain. La nouveauté a ensuite été l'instauration d'un Haut Comité pour les PME, dans le même esprit que celui créé peu de temps avant pour l'industrie. C'est lui qui a pris en charge la coordination du projet et instauré les groupes de travail sur les thématiques spécifiques. Une fois tous les avis collectés, il a évidemment fallu faire le tri avec les ministères et les administrations concernés. Au final, je pense que le document représente un bon compromis, un équilibre entre ambition et réalisme. Je suis de toute façon de nature pragmatique, et cela n'aurait aucun sens de faire un document avec que des bonnes intentions, sans que rien ne puisse être mis en oeuvre. Jusqu'à présent, les plans PME avaient une durée de vie définie et étaient renouvelés. Mon souhait est que ce document soit vivant et dynamique. Peut-être même que ce sera le dernier plan et qu'il sera adapté en permanence. Le fait que ce soit le Haut Comité qui en assure le suivi donne en tout cas l'assurance que ce document n'en restera pas au stade des intentions. Il ne s'agit évidemment pas d'un document idéologique ! Ce sont des points remontés du terrain, dans une approche que nous avons voulu bottom-up plutôt que top-down. Ce modèle participatif était essentiel, car il responsabilise les acteurs.

Paperjam: Sur quels postulats vous êtes-vous basés pour lancer les discussions?

Francine Closener: L'idée était de rassembler toutes les solutions possibles, en marge du Small Business Act européen lancé en 2008. D'ailleurs, le 3e plan était un peu précurseur en la matière, puisqu'il a été lancé au même moment. Nous n'avons rien inventé sur ce plan-là: les 10 grands chapitres du 4e plan sont virtuellement repris de ce Small Business Act. La couche additionnelle ayant apporté de la valeur ajoutée, c'est bien évidemment la création de ce Haut Comité et l'instauration des groupes de travail qui ont élaboré les contenus. Au final, il n'y a pas une grande problématique, mais 99. Ce document doit être utilisé comme une feuille de route pour les politiques PME à mener lors des prochaines années. Nous avons aussi mis en avant le principe du think small first et nous allons rédiger une sorte de charte que les ministères devront respecter. Il est essentiel d'appliquer ce principe auprès des ministères et administrations pour chaque nouvelle réglementation ou directive européenne. D'autant plus que les textes prévoient justement des exemptions pour les plus petites structures. Prenez par exemple la directive européenne sur l'étiquetage des produits alimentaires. Il est désormais obligatoire que soit inscrit un certain nombre d'informations sur les teneurs en graisse, les valeurs nutritionnelles... Pour une grosse industrie agroalimentaire, cela est faisable, mais pour un petit commerce, un artisan -boucher ou un boulanger, cela est presque impossible. Le secteur a peur que ces exceptions ne soient pas prises en compte. Nous devons donc veiller à ce qu'au Luxembourg, il y ait clairement une telle exception pour les petites structures dans l'implémentation de la directive, afin de pouvoir appliquer ce principe du think small first.

Paperjam: Les changements législatifs que cela implique ne sont pas tous du ressort de votre ministère...

Francine Closener: Non, et c'est pourquoi le ministère de l'Économie se doit de jouer le rôle d'ambassadeur, voire de médiateur auprès des autres ministères afin qu'ils soient tous pleinement au courant des possibilités qui existent. Le Haut Comité, là aussi, jouera un rôle très important dans la formulation des problèmes qu'il conviendra de solutionner.

Paperjam: Certaines revendications initiales venues justement du terrain vous ont-elles semblé surprenantes?

Francine Closener: On ne peut pas vraiment dire ça. En revanche, on a découvert certaines problématiques dont nous n'avions pas forcément conscience. Par exemple, sur un plan administratif, notamment vis-à-vis de la sécurité sociale, il est très compliqué pour un traiteur d'engager un extra pour quelques heures seulement, en vue d'un banquet. Et donc, il ne le fait pas et trouve d'autres solutions, au risque de ne pas forcément être parfaitement en règle. Alors nous avons trouvé une mesure qui permet d'arriver à une démarche très facile, un peu de la même façon que des particuliers font appel ponctuellement à une aide ménagère. Il y avait aussi un vide juridique concernant les réunions de vente privée à domicile. Nous sommes en train de le combler.

Paperjam: Comment se fera la priorisation de ces 99 mesures décrites dans le plan?

Francine Closener: Le plan comprend des mesures à court, moyen et long termes. La réforme du droit d'établissement, par exemple, est un travail de longue haleine qui nécessitera d'en discuter profondément avec tous les milieux concernés, surtout dans la perspective du développement de l'économie partagée. Mais il faut démarrer très vite, tout en sachant que cela ne sera pas clôturé avant la fin de l'année. Début juillet, une réunion du Haut Comité va fixer les priorités de ce plan avec des groupes de travail qui vont plancher spécifiquement sur cela. Avec une telle démarche, nous devrions avancer plus vite.

Paperjam: Beaucoup d'axes développés par le plan tournent autour de la promotion de l'entrepreneuriat. Comment comptez-vous vous y prendre ?

Francine Closener: On constate en effet que les jeunes visent surtout le secteur public et para -étatique, qui reste très attractif. Nous voulons changer cet état de fait. Je suis personnellement une grande fan des mini-entreprises. Nous devons encore bien réfléchir à d'autres idées et faire voir aux jeunes les secteurs nouveaux existant au Luxembourg. La Maison de l'orientation, c'est très bien qu'elle fonctionne, mais il faut créer encore plus d'idées. Et ce sont aussi les secteurs eux-mêmes qui doivent nous dire comment faire. J'étais récemment à la cérémonie Fit4Start. J'ai regretté que les Luxembourgeois y soient minoritaires. Les jeunes des autres pays ont conscience qu'on peut faire beaucoup de choses au Luxembourg, mais les Luxembourgeois eux-mêmes ne s'en rendent pas compte. Il est important de montrer les débouchés qui existent, non seulement aux jeunes, mais aussi aux parents ! Il n'y a pas que l'État et les banques au Luxembourg. On peut aussi faire de belles carrières d'ingénieur, par exemple, car les biotech ou l'ICT sont des secteurs porteurs. C'est aussi à l'État d'intervenir et de faire la promotion de ces secteurs.

Paperjam: Qu'en est-il de l'artisanat?

Francine Closener: Sa promotion me tient aussi à coeur. J'ai récemment discuté avec un jeune de niveau 13e dont les parents voulaient qu'il suive un bac général. Lui veut faire quelque chose de ses mains ! Mais il ne sait pas à qui s'adresser. L'attraction des profils hautement qualifiés pour l'artisanat est aussi un défi. Mais tout est question de valorisation des métiers. Dans les pays germanophones, l'artisanat a une forte valeur de reconnaissance au sein de la société. Ce n'est pas le cas chez nous. Or, c'est maintenant qu'il faut bouger, car on sait que dans les 15 prochaines années, il y aura un tiers des entreprises artisanales à reprendre. Être patron aujourd'hui, dans une entreprise artisanale, cela n'a plus rien à voir avec l'image de l'artisanat des 20 ou 30 dernières années. Des campagnes de promotion comme «Hands-up » sont très réussies et il faut continuer sur cette voie. En tout état de cause, nous soutiendrons toutes les initiatives, que ce soit d'un point de vue moral ou financier.

Paperjam: Il y a aussi la peur de l'échec qui reste très présente...

Francine Closener: Oui, elle est en effet très importante auprès des Luxembourgeois de souche. Ça domine encore. J'ai lu récemment un article sur l'entrepreneuriat en Israël. C'est tout à fait autre chose ! Et même s'il y a un échec, on ne perd pas. Au contraire, on gagne en expérience. Ici, comme le pays est petit et que tout le monde se connaît, l'échec est plus difficile à gérer. On est loin du réflexe Silicon Valley où il est de bon ton de connaître trois échecs avant de tirer le gros lot. Ici, si on a trois faillites de suite, on a du mal à s'en remettre. D'où l'importance de changer aussi le statut de l'indépendant et de le rapprocher du statut de salarié pour ce qui est de l'indemnisation du chômage notamment. C'est aussi très important. Sinon, personne ne voudra jamais se lancer.

Paperjam: L'accès aux crédits est également régulièrement avancé comme étant un des freins majeurs à l'esprit d'entreprendre. Comment remédier à cela?

Francine Closener: Il y a deux volets à cet aspect des choses. Il y a le financement au moment de se lancer, et les accès au financement pour les entreprises qui ont un déjà certain vécu. Pour la première catégorie, il existe déjà un arsenal bien complet. Mais là encore, c'est davantage sur les mentalités qu'il faut travailler. L'accès au financement est tout de même aisé au Luxembourg, très loin de la situation que certains pays du sud ont pu connaître. C'est évidemment un point essentiel. En revanche, il est vrai aussi que dans des domaines tels les business angels ou le venture capital, on peut encore s'améliorer. Le LBAN (Luxembourg Business Angel Network, ndlr) a relancé récemment ses activités. Le système fonctionne mieux, mais il y a du potentiel pour faire davantage de dossiers.

Paperjam: Le problème ne vient-il pas, globalement, d'un défaut d'information?

Francine Closener: Il y a en effet beaucoup de choses qui existent dans beaucoup de domaines, mais qui ne sont pas toujours bien connues. Prenez l'exemple de l'innovation. Trop de PME croient encore aujourd'hui que ce n'est pas fait pour elles, alors que des programmes tels que Fit4lnnovation existent. Quant aux aides financières, elles sont très nombreuses, c'est un peu la jungle. Via le guichet unique, on veut instaurer un assistant virtuel qui permette de guider un chef d'entreprise ou un entrepreneur: en renseignant sur la taille de l'entreprise et sur les besoins en investissements, on obtient le descriptif des aides possibles et les voies pour les solliciter. Actuellement, nous travaillons sur une analyse des aides existantes en vue d'en fusionner certaines pour être encore plus performants. Nous avançons aussi dans la conception du guichet physique unique entreprises, qui sera opérationnel après les congés d'été dans des locaux en face de la Chambre de commerce. Ce point d'accueil permettra d'avoir tous les services et les contacts utiles réunis en un seul endroit, y compris concernant les demandes d'autorisation. Il est important de démystifier les choses pour les PME. Avec un conseil, surtout : se faire conseiller ! Les grandes entreprises l'ont bien compris et le font déjà. Et un tel accompagnement n'est pas nécessairement hors de prix, d'autant plus qu'il existe, pour cela aussi, des aides financières.

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