"Le challenge de l'avenir est l'industrie 4.0 (...)"

Interview: Echos des entreprises / Michèle Vallenthini

Echos des entreprisesPour vous, c'est quoi l'industrie d'aujourd'hui et demain et quelles sont vos attentes par rapport à la Fedil?

Étienne Schneider: L'industrie est pour moi un secteur extrêmement important dans le tissu économique national. Une économie sans industrie n'est pas une véritable économie. Comparée à sa contribution au PIB, l'industrie se trouve en stagnation. Pourtant, ce phénomène ne s'explique pas par des fermetures d'entreprises, au contraire, ce déclin est plutôt lié à une croissance plus prononcée et constante du secteur des services. Or, je suis optimiste. Le challenge de l'avenir est l'industrie 4.0, permettant au secteur d'affronter les défis du futur et de profiter des opportunités y liées.

L'écosystème industriel est en pleine mutation : nous avons d'une part les industries classiques ayant plus de mal à se réinventer. Tel est notamment le cas pour la sidérurgie, qui, à l'issue de moments difficiles, a quand même étonnamment bien réussi. D'autre part, les industries high tech continuent à s'implanter au Luxembourg. Pour les ancrer dans notre écosystème, nous adoptons un certain nombre d'initiatives, comme le futur campus automobile à Bissen. Il s'agit d'y établir des activités et des entreprises principalement orientées vers l'innovation, la recherche et le développement de nouvelles technologies dans le secteur automobile. Le site fera du Grand-Duché encore davantage une destination de choix pour les équipementiers automobiles.

L'industrie de demain voire d'après-demain ira plus dans le sens de RDI que dans celui de la production propre. La recherche et le développement constituent les points clés d'une industrie compétitive.

Une coopération ouverte et constructive nous lie à la Fedil. J'ai eu des entrevues avec son nouveau président et je pense que nous nous situons ici sur la même longueur d'ondes quant au développement de l'industrie au Luxembourg, de même en ce qui concerne notre collaboration dans le futur. Je suis sûr qu'ensemble nous allons pouvoir avancer à grands pas.

Echos des entreprisesLa propose gouvernementale quant à l'organisation du travail a causé maintes critiques dans le chef des représentants patronaux. Avez-vous quelque inquiétude que le Luxembourg pourrait s'avérer trop restrictif en matière de flexibilité comparé à d'autres pays européens qui ont modernisé leur législation en la matière?

Étienne Schneider: Non. Je ne suis pas inquiet. J'aimerais relever deux points:

Premièrement, une remarque d'ordre technique: les patrons qui ne veulent pas adopter les nouvelles dispositions ne seront nullement obligés de le faire. Il me paraît évident qu'une demande pour plus de flexibilité de la part des employeurs ne peut être satisfaite sans contrepartie, et cette contrepartie se résume dans des jours de congé supplémentaires pour les salariés concernés. En plus, chaque chef d'entreprise peut rester au régime actuel et se contenter d'un seul mois de flexibilisation sans accorder rien en contrepartie. Mais s'il souhaite bénéficier d'une période de référence dépassant un mois, il sera obligé de compenser cette flexibilisation par davantage de jours de congé pour les salariés. Par ailleurs, les salariés concernés travaillent souvent dans des secteurs où le revenu ne dépasse pas le salaire social minimum. Chaque patron pourra alors décider de son propre chef. Partant, je n'ai qu'une compréhension limitée pour l'émotion des débats.

Deuxièmement, les réactions patronales ne tiennent nullement compte du contexte européen. Il est important de bien voir comment nos sociétés évolueront si nous continuons à creuser le clivage social. L'Europe traverse actuellement une période qui risque de s'avérer absolument désastreuse: une partie croissante de la population européenne est persuadée que les riches deviennent de plus en plus riches et que la plupart des gens se trouve exclue de cet épanouissement. Ces réflexions erronnées conduisent inévitablement à un essor prononcé de partis qui se positionnent aux extrémités de l'échiquier politique. Si nous continuons dans cette voie, nous verrons une évolution similaire au Luxembourg. L'avènement de partis extrémistes créerait un climat politique incalculable et qui nuirait au développement économique.

Notre pays a toujours fonctionné par la recherche d'un équilibre social et d'un compromis profitant d'une manière ou d'une autre à l'ensemble des parties prenantes. Ce modèle "à la luxembourgeoise" constitue l'atout principal de notre pays et est à la base de notre prospérité. Abandonner ce modèle serait néfaste pour l'avenir du Luxembourg.

Echos des entreprisesIl ressort du programme de stabilité et de croissance luxembourgeois que le gouvernement mise sur un PIB en forte croissance pour équilibrer les finances publiques et l'assurance sociale. Comment entendez-vous stimuler cette forte croissance et comment voulez-vous assurer que cette croissance soit portée par des percées dans la productivité pour en faire une croissance plus "qualitative" ?

Étienne SchneiderDepuis des années, nous misons sur une croissance économique durable et soutenable, en remplaçant les niches de souveraineté par des niches de compétences. Notre politique de diversification économique multisectorielle qui nous menons depuis plus d'une décennie y contribue largement. Les secteurs comme les écotechnologies, la logistique, les technologies de la santé et de l'espace et surtout le secteur des TIC contribuent à cette croissance qualitative et durable. S'y ajoutent l'économie circulaire et l'économie partagée que nous développons aussi dans le cadre de l'étude stratégique Rifkin visant à préparer le pays à la troisième révolution industrielle. Il faut commencer à concevoir aujourd'hui la politique économique de demain afin d'assurer durablement la compétitivité des secteurs que votre fédération représente.

Le Luxembourg devra faire des efforts importants en matière de recherche et de développement. Les dépenses en R&D public et privé à hauteur de 1,2% du PIB sont à ce stade de loin inférieures à l'objectif national à l'horizon 2020 qui prévoit en fait le double des dépenses actuelles voire plus. Avant la crise, ce taux était encore de l'ordre de 1,64% pour le Luxembourg. La baisse est imputable aux dépenses des entreprises privées durant les années de crise que nous venons de traverser. Dans le secteur public, les dépenses ont cependant continuellement augmenté. Dans un contexte d'évolutions technologiques rapides, de besoins de différenciation vis-à-vis des clients et des concurrents internationaux, il faut encourager les entreprises à allouer plus de ressources à la R&D. Investir davantage en RDI contribuera à construire l'économie durable de demain.

Echos des entreprisesLe Luxembourg est quand même dépendant des grands groupes à un niveau international. Souscrivez-vous à la vue que, dans le contexte de BEPS et de l'élargissement de la base taxable, les taux d'imposition des sociétés devront continuer à baisser?

Étienne SchneiderDoivent-ils baisser? Non. Baisseront-ils? Éventuellement. Si le contexte international nous pousse dans ce sens, nous n'aurons pas de choix. Nous suivons les discussions portant sur la réglementation BEPS au niveau de l'OCDE de très près. D'un point de vue fiscal, le Luxembourg doit rester compétitif par rapport à d'autres pays. Partant, dépendant de l'assiette fiscale que BEPS nous impose, je n'exclus pas qu'après l'entrée en vigueur de la réforme fiscale, le taux d'affichage sera encore une fois adapté. Depuis quatre ans, je suis Ministre de l'Économie et depuis lors je m'engage auprès de I'OCDE en faveur d'un "level playing field" fiscal pour les entreprises au niveau de l'UE.

Mon raisonnement quant aux réactions patronales suite à la flexibilisation du temps de travail vaut à plus forte raison pour ce domaine-ci. En raison de la baisse constante de la charge fiscale pour les entreprises, partout en Europe l'opinion publique considère que les entreprises se désolidarisent et ne souhaitent plus contribuer au financement du modèle social. Les entreprises ne devraient pas être déresponsabilisées en ce qui concerne le financement des États. Cela mènerait in fine aux extrémismes et à des situations ingérables.

Cette tendance doit être freinée au niveau de l'OECD. Nous devons faire en sorte que toutes les entreprises paient leur contribution et que le choix menant une entreprise à s'établir dans tel ou tel pays soit dicté, non pas par des raisons fiscales, mais par d'autres critères. À ce niveau, le Luxembourg est très bien positionné: nos infrastructures sont à la pointe du progrès. Chaque année, nous investissons près de 4% de notre PIB dans les infrastructures. Ces dépenses publiques de l'ordre de 2,3 milliards d'euros pour cette année sont plus que justifiées, car il s'agit d'investissements à la fois dans l'avenir et dans l'attractivité de notre pays. Si demain pour une entreprise, le taux d'imposition est le même partout, le Luxembourg ne pourra que gagner.

Echos des entreprisesDans son discours programme prononcé à l'Assemblée générale de la Fedil Nicolas Buck a évoqué cette maladie typiquement luxembourgeoise qui fait que "nous avons du mal à travailler ensemble". Comment évaluez-vous les coopérations entre les secteurs public et privé en matière de R&D?

Étienne SchneiderNous avons pris de nombreuses initiatives communes avec l'industrie et les entreprises qui témoignent de la volonté du gouvernement de diversifier et de réindustrialiser l'économie luxembourgeoise, notamment en créant le Haut Comité pour le soutien, le développement et la promotion de l'industrie. Nos coopérations ont donné émergence au Materials Cluster et au "National Composite Centre - Luxembourg" où les acteurs de la recherche publique et privée mettent en commun leurs compétences afin de dynamiser encore davantage au Luxembourg le développement et le traitement de matériaux innovants qu'on retrouve par exemple dans l'industrie automobile ou dans l'aéronautique. Il en est de même pour l'Automotive Cluster qui a conduit à la conception future du "Luxembourg Automotive Campus" dédié à la recherche et à l'innovation dans le secteur automobile. C'est ensemble que nous avons tout mis en place pour positionner notre pays en startup nation. Il manquait un nombre de vecteurs, mais je pense que nous nous sommes rattrapés par le programme Fit for Start, le Digital Tech Fund ainsi que le Luxembourg Future Fund. Aussi, nos différents régimes d'aides en matière RDI constituent autant d'instruments attirant des startups internationales et aidant nos jeunes à se lancer. Les collaborations entre les secteurs public et privé doivent promouvoir l'esprit entrepreneurial.

Echos des entreprisesPourquoi nos jeunes sont-ils si réticents quand il s'agirait de se lancer?

Étienne SchneiderOutre la peur de l'échec, les réticences à créer sa propre entreprise tiennent peut-être à un problème de mentalité qui se situe moins du côté des jeunes mais plutôt du côté des parents. Ils préfèrent voir leurs enfants travailler dans des secteurs protégés comme la fonction publique. S'y ajoute le fait qu'au Luxembourg l'échec est conçu comme une catastrophe. Qui a fait faillite se trouve stigmatisé. Or, pourquoi ne pas entreprendre plusieurs tentatives? L'inventeur de paypal par exemple a vécu trois échecs avant de réussir. Plutôt que de les décourager, aidons les jeunes à croire en leurs idées, à quitter les sentiers battus. Nous avons les moyens de les soutenir. La création d'une entreprise doit être facile. D'où l'existence d'un guichet unique pour entreprises en ligne, la conception d'une "House of entrepreneurship" et le modèle de l'entreprise simplifiée. Par ce biais, nous souhaitons donner toutes les facilités aux jeunes et leur permettre de se concentrer sur les projets au lieu de se voir freinés par des démarches administratives chronophages et des soucis existentiels.

Echos des entreprisesComment comptez-vous faire revenir au pays les jeunes luxembourgeois talentueux?

Étienne SchneiderC'est une question d'offre et de demande. Il faut que nous ayons des offres attrayantes qui intéressent les jeunes luxembourgeois qui ont fait leurs études à l'étranger. Aussi, m'importait-il de modifier la loi d'immigration en faveur des étudiants originaires de pays tiers venant faire leurs études au Luxembourg. Nous avons contribué à les former et à quoi bon si on les laisse repartir, une fois leurs études terminées, vers leur pays d'origine? L'industrie de demain, en manque de ressources bien formées, en aura un grand besoin et nous souhaitons y répondre.

Echos des entreprisesConsidérez-vous que le Luxembourg est bien armé et suffisamment innovateur pour affronter les défis d'une industrie en mutation par l'influence du digital? Quelles sont les offres du Ministère de l'Économie pour accompagner les entreprises?

Étienne SchneiderNous sommes bien préparés pour affronter les défis de la digitalisation. À titre d'exemple: Post Luxembourg a versé très peu de dividendes pour la simple raison que l'État préfère des investissements dans les infrastructures rendues nécessaires par les défis du digital. Il y a environ 6 mois, le ministère de l'Économie a pris l'initiative et s'est concerté avec la France, l'ltalie et l'Espagne pour initier et lancer, en étroite collaboration avec la Commission Européenne, le projet pour l'implémentation dans l'UE des capacités requises dans les domaines du High performance computing et du Big Data. C'est une suite logique des investissements ainsi que des efforts importants réalisés pendant les dernières années pour positionner le pays dans le domaine de l'ICT et diversifier ainsi notre tissu économique.

En allant à la rencontre des entreprises qui ont choisi de s'établir au Luxembourg, je constate que notre pays reste le lieu le plus intéressant pour elles. L'écosystème favorable aux start-up, nos infrastructures performantes et les différents instruments d'aides et d'accompagnement sont autant d'atouts du Luxembourg. En outre, les législations sont souvent modifiées pour rencontrer les besoins des entreprises. Et cela non seulement dans le secteur financier. Nous essayons de soutenir les entreprises dans tous les domaines.

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