Étienne Schneider au sujet de la situation économique

''In fine, les entreprises sont beaucoup mieux loties qu'avant''

Interview: Geneviève Montaigu (Le Quotidien)

Le Quotidien: Êtes -vous satisfait du bilan de l'économie luxembourgeoise depuis votre prise de fonction au sein de ce gouvernement tricolore?

Étienne Schneider: Je dois justement faire ce bilan avec le Premier ministre tout à l'heure (mardi dernier). Mais dans l'ensemble, oui, je suis satisfait. L'économie recommence à tourner et les différents secteurs, notamment celui de la logistique qui a fait un bond considérable ces derniers mois, participent au retour de la croissance qui tourne autour des 3 %. À ce niveau, nous sommes le bon élève au sein de l'Union européenne. D'autres signaux nous indiquent que cette amélioration touchera un peu tous les domaines d'activité. Le seul bémol concerne l'indexation des salaires et la position du patronat. 

Le Quotidien: Justement, la Fedil a envoyé un courrier à tous ses membres afin qu'ils protestent contre la récente décision du gouvernement de réintroduire le système d'indexation automatique des salaires sans modulation. Comment avez-vous accueilli cette démarche?

Étienne Schneider: Oui, Monsieur Dennewald [président de la Fédération des industriels du Luxembourg, Fedil] a envoyé une lettre préécrite à compléter par les membres de la Fedil. Je vais analyser de près la situation de toutes les sociétés qui vont renvoyer le courrier complété. D'un côté, je pense que si nous avons une discussion au niveau tripartite à ce propos et que la Fedil ne partage pas nos conclusions, un jour• il faut tout simplement qu'elle accepte la situation : nous avions dit que le sujet était clos. De l'autre, nous avons prévu de mettre un certain nombre de choses en place en matière de compétitivité, dont certaines que nous avons réalisées et je vais faire le listing de tout ce que j'ai entrepris dans l'intérêt de la compétitivité dèpuis que j'ai repris les rênes du ministère de l'Économie.

Le Quotidien: Par exemple?

Étienne Schneider: Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je citerais par exemple les prix de l'énergie pour l'industrie. Nous avons pris beaucoup d'initiatives pour les diminuer et ces prix sont devenus entre-temps des plus compétitifs en Europe, ce qui n'était pas le cas lorsque je suis arrivé à la tête du ministère de l'Économie. Je pense encore au financement des entreprises par le biais de la SNCI [Société nationale de crédit et d'investissement] où nous avons considérablement diminué les taux d'intérêt. J'évoquerais encore la recherche et le développement, secteur dans lequel nous avons augmenté nos moyens pour soutenir les entreprises dans leurs projets. Nous avons encore mis en place tous ces incubateurs pour les start-up. Nous avons créé ce système de jeunes entreprises innovantes où on peut donner jusqu'à un million d'euros non remboursables aux jeunes entreprises innovantes qui viennent de se créer. Et je citerais encore tout ce que l'on a fait durant la crise pour épargner la faillite aux entreprises : les aides, le chômage partiel, les préretraites, le tout ayant coûté des centaines de millions d'euros à l'État luxembourgeois pour garder les entreprises compétitives. Le "plan Marshall" que j'ai initié est un programme d'investissements effectués par certaines entreprises publiques ' pour la période 2013-2017 et il contribue à mettre en place des infrastructures de pointe d'une valeur de 2 milliards d'euros qui doivent renforcer notre compétitivité. Mais j'y reviendrai en détail dans ma réponse à la question parlementaire de Franz Fayot à ce sujet. Je compte observer de près qui va nous renvoyer cette lettre de protestation et j'analyserai ce que l'Etat a fait pour eux ces dernières années. Je trouve que la démarche de la Fedil est politiquement incorrecte. Nous avons eu une discussion, nous n'avons pas trouvé d'accord, mais il y a une décision du gouvernement et insister sur le sujet relève d'un acharnement qui ne va certes pas améliorer les relations entre le gouvernement et la Fedil. 

Le Quotidien: Vous avez de quoi répondre à la Fedil quant à l'impact de l'indexation sur la compétitivité en vous référant aux études du Statec... 

Etienne Schneider: Oui. Déjà, pôus aurons moins d'indexation que les cinq années passées! La tranche qui aurait dû être payée en octobre 2014 ne le sera qu'en mars 2015. Avec l'augmentation de la TVA, il se passera quand même 12 mois entre la tranche de mars 2015 et la prochaine, donc pas de désavantage pour les entreprises. Après, selon nos informations en provenance du Statec, cela va prendre encore plus de 12 mois avant le déclenchement d'une nouvelle tranche indiciaire. In fine, les entreprises sont beaucoup mieux loties qu'avant. Cette campagne contre le gouvernement est pour moi incompréhensible et j'aimerais que l'on me montre une seule entreprise que nous n'avons pas aidée en cas de besoin. Je ne cherche absolument pas les remerciements, mais je n'ai aucune compréhension pour ce genre d'initiative. 

Le Quotidien: Les entreprises ont-elles à craindre les décisions que vous pourriez envisager au chapitre de la réforme fiscale?

Étienne Schneider: Nous avons décidé en tant que gouvernement qu'il n'y aurait pas d'augmentation de l'impôt sur les sociétés pendant toute la législature. Cela donne de la visibilité. Personne ne pourra me citer un autre exemple, dans l'Union européenne, d'un gouvernement qui, dès le début de sa prise de fonction, a annoncé qu'aucune augmentation de cet impôt n'interviendrait pendant la durée de son mandat. C'est un volet important pour notre compétitivité. J'ajouterais encore que la loi omnibus [relative à la simplification administrative], telle qu'elle avait été préparée par l'ancien gouvernement, changeait trois lois. Le projet que Dan Kersch [ministre de l'intérieur et ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative] a déposé entre-temps changera 16 lois dans le but d'améliorer la compétitivité en diminuant les procédures. C'est du concret.

Le Quotidien: Quand l'opposition CSV, votre principal adversaire, vous accuse de naviguer à vue, cela vous inspire-t-il le même genre de commentaire agacé?

Étienne Schneider: Ce n'est tout simplement pas sérieux. Je n'ai même pas envie de répondre à de telles affirmations gratuites. Bien sûr qu'il y avait encore des projets qui dataient de l'ancien gouvernement et je les assume car j'en faisais partie, mais nous avons déjà pris beaucoup d'initiatives propres et je peux dire qu'il y en aura davantage, notamment avec le programme de modernisation des finances publiques qui sera présenté en automne.

Le Quotidien: Dans le programme gouvernemental, vous annonciez que les recettes et dividendes provenant des participations étatiques seraient en grande partie réaffectés à des investissements en faveur de l'économie. Avez-vous déjà des exemples concrets à fournir?

Étienne Schneider: Pour l'instant, nous discutons de cette reprise de la majorité dans Enovos-Creos dans la mesure où les deux actionnaires allemands [RWE et E.ON] vont quitter la société. Officiellement, cette négociation n'a pas encore commencé. Nous attendons le coup d'envoi. Ils doivent déclarer officiellement qu'ils sont vendeurs et à partir de ce moment-là on pourra négocier. Mais c'est un dossier qui va coûter une centaine de millions d'euros, à travers la SNCI ou d'autres modes de participation, mais l'idée est de ne pas devoir engager des moyens budgétaires pour l'acquisition de ces parts. C'est un investissement important dans le cadre de l'approvisionnement, mais aussi dans le cadre de l'industrie et des consommateurs, car nous pourrons encore davantage accompagner le développement des réseaux et c'est crucial pour le développement économique d'un pays.

Le Quotidien: Vous avez à dos la Fédération des artisans qui prédit le pire avec l'augmentation de la TVA de 3 à ri % sur les logements secondaires. Elle craint une répercussion sur les prix des loyers. Pas vous? 

Étienne Schneider: Cela ne changera rien du tout! Les prix du logement s'établissent de manière fondamentale à travers l'offre et la demande. C'est tout simple. Mais actuellement, l'État finance la marge des promoteurs. Cette augmentation de la TVA ne changera pas les prix au Luxembourg, elle atténuera les marges des promoteurs. Ils ont d'autres moyens de faire valoir leurs investissements. Il ne faut pas oublier qu'ils ont toujours droit aux divers subsides pour les classes énergétiques, ils disposent de l'amortissement accéléré, de la possibilité de déduire tous leurs frais des recettes des loyers. Au final, on peut dire que l'Etat participe considérablement au financement dans cette catégorie d'immobilier.

Le Quotidien: La réindustrialisation, qui vous tient â coeur, est aussi une priorité dans le programme du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Cela a dû vous toucher...

Étienne Schneider: Oui, je plaide à Bruxelles dans la même direction et depuis longtemps, mais je vois un problème majeur. Entre ministres de l'industrie et avec le commissaire européen en charge de ce domaine, nous sommes tous d'accord là-dessus. Mais la Commission, dans toute sa représentation, ne laisse pas transparaître la même préoccupation. Nous n'avons pas de politique horizontale, aucune priorité. Le commissaire en charge de l'environnement ne voit que l'environnement, celui en charge de la compétitivité ou de la fiscalité, c'est la même chose. Le grand défi de Jean-Claude Juncker, s'il veut vraiment réaliser cette nécessaire réindustrialisation, c'est d'imposer cette réindustrialisation comme priorité de la Commission tout entière et pas que d'une petite partie, alors qu'une autre prend des décisions à l'encontre de cette réindustrialisation.

Le Quotidien: Comment procéderiez-vous pour atteindre cet objectif?

Étienne Schneider: J'ai toujours donné le même exemple à Bruxelles. Quand on prend en considération toutes les obligations et les normes que l'Union européenne s'est imposées et a imposées à l'industrie européenne, il faut reconnaître que sa production est devenue beaucoup plus chère. L'UE ne veut pas diminuer ses normes, c'est clair. Mais au lieu de laisser entrer dans l'Union européenne tous les produits, sans aucun contrôle des effets climatiques ou sociaux que cette production a générés, imposons des normes a minima. Si elles ne sont pas respectées, taxons alors ces produits de x pour-cent. Les Américains le font depuis toujours. Je suis favorable à un marché sans frontières au sein de l'Union européenne, mais il faudrait quand même parler de la protection de ce marché intérieur, parce que toutes ces branches industrielles qui sont en train de disparaître ne vont plus jamais revenir et on sera alors dépendant d'autres régions du monde pour certaines productions. C'est un sujet sur lequel Jean-Claude Juncker devra se pencher et il aura du pain sur la planche. Je lui souhaite beaucoup de succès et je vais le soutenir dans toutes ses démarches!

Le Quotidien: Le gouvernement donne-t-il le même exemple? Quelles sont les propositions émises dans ce sens par le Haut Comité pour l'industrie que vous avez mis en place il y a un an maintenant?

Étienne Schneider: Nous avons déjà eu 92 propositions. Certaines sont faciles à réaliser, d'autres sont des procédures administratives que l'on peut changer facilement et, enfin, il yen a qui nécessitent une modification législative. Ce comité, qui se compose de plusieurs groupes de travail autonomes, soumet des propositions à l'assemblée, laquelle comprend les ministres compétents. On retient les idées pour les analyser avant de les concrétiser. Cela fonctionne plutôt bien et suite à ce succès nous avons donc créé un Haut Comité pour les PME. 




 



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