Interview avec Étienne Schneider au sujet de l'économie luxembourgeoise

"Continuer à investir"

Interview: Christophe Colpo (Le Jeudi)

Le Jeudi: L'année 2014 fut riche en rebondissements. Du point de vue économique, quel est l'évènement majeur de l'année écoulée selon vous?

Étienne Schneider: La croissance du PIB devrait atteindre près de 3% en 2014, mais devrait retomber autour de 2% en 2015, la conjoncture de la zone euro étant hélas à la peine. En raison des coups de frein répétés sur les prix du pétrole, le taux d'inflation est au plus bas. En tant que Vice-Premier ministre, je retiens de l'année 2014 comme principale satisfaction politique une adoption récente du "Zukunftspak" que l'on peut considérer comme le début d'une modernisation des politiques publiques. Concernant mes attributions, on constate au jour le jour que le regroupement des portefeuilles des classes moyennes et de l'économie au sein d'un seul ministère dans une logique de "one stop shop" pour un ensemble des entreprises porte ses fruits. Il y a douze mois, d'aucuns étaient sceptiques lorsque Francine Closener et moi avons assumé en plus la responsabilité politique pour les domaines de la sécurité intérieure ou de la défense. En marquant le début d'un véritable changement de paradigme, le projet "GovSat" a définitivement mis fin à toutes ces critiques. Il s'agit du premier projet gouvernemental qui combine à la fois la création de nouvelles retombées économiques nationales et les obligations de contribution croissantes du Luxembourg en matière de défense comme membre de l'Otan.

Le Jeudi: La Chine devient (toujours plus) un partenaire stratégique pour le Grand-Duché. Quelles sont les perspectives d'avenir?

Étienne Schneider: Les relations économiques sino-luxembourgeoises ont en effet connu dans le passé une évolution très favorable: outre l'initiative gouvernementale visant à faire du Grand-Duché un centre international pour le RMB afin de développer ainsi le secteur financier, un certain nombre d'entreprises chinoises ont choisi le Luxembourg comme plate-forme pour s'établir en Europe dans des secteurs tels que l'e-commerce avec Alipay ou la sous-traitance automobile avec SAIC. Dans ce dernier secteur, un certain nombre d'entreprises luxembourgeoises sont d'ailleurs implantées en Chine, comme lEE, qui a été rachetée par un repreneur chinois. Le groupe d'investissement HNCA a repris 35% de parts de Cargolux S.A avec en parallèle la mise en oeuvre d'une "dual hub strateg-y" prometteuse portant sur le développement, d'une part, d'un hub logistique européen à l'aéroport de Luxembourg et, d'autre part, d'un hub logistique chinois à l'aéroport de Zhengzhou. Le pouvoir d'achat grandissant de la classe moyenne en Chine pourrait contribuer à faire venir davantage de touristes en Europe en général et au Luxembourg en particulier. Au premier semestre 2014, la présence de touristes chinois au pays a déjà connu une progression de 9%. En résumé, on peut donc affirmer que la Chine devient un partenaire économique de plus en plus important.

Le Jeudi: Sans transition aucune, comment la hausse de la TVA peut-elle impacter notre économie?

Étienne Schneider: Pour compenser la perte progressive des recettes fiscales liées au commerce électronique, une hausse de la TVA était de mise. Au premier janvier 2015, le taux normal, le taux réduit ainsi que le taux intermédiaire sont passés respectivement de 15%, 6% et 12% à 17%, 8% et 14%. Pourtant, les différents taux restent parmi les plus bas en Europe. L'impact sur le pouvoir d'achat des consommateurs sera réduit, voire compensé par le système d'indexation automatique. En outre, deux tiers des produits de première nécessité offerts dans les supermarchés restent soumis au taux super -réduit de 3%. Je pense donc qu'en général, l'impact de la hausse de la TVA restera limité.

Le Jeudi: Pensez-vous que le "nation branding" suffise à contrer le "Luxembourg bashing" du point de vue économique? Ouels sont les moyens déployés par le gouvernement pour contrer les récentes attaques?

Étienne Schneider: La publication par l'ICIJ et ses médias affiliés d'une série de décisions anticipées en matière fiscale a sans aucun doute nui considérablement à l'image du Luxembourg. A court terme, il s'agit de poursuivre et de communiquer davantage sur nos efforts entamés déjà avant l'ère "Lux Leaks" au niveau de la transparence fiscale et de l'échange automatique de renseignements relatifs à des comptes financiers. Dans une approche axée sur le long terme, le concept de "nation branding" contribuera à faire connaître le Luxembourg audelà de son centre financier et de l'associer à d'autres valeurs positives. Une véritable image de marque nationale aidera à promouvoir le Grand-Duché en tant que terre d'accueil d'investissements étrangers, mais aussi comme destination touristique, culturelle ou commerciale.

Le Jeudi: Quels sont les secteurs d'activité qui seront développés au cours de l'année? Les nouvelles technologies, la recherche et l'innovation, etc.?

Étienne Schneider: Nous allons poursuivre le développement des secteurs prioritaires afin de fortifier le modèle économique luxembourgeois pour le rendre moins dépendant du secteur financier et donc moins vulnérable face à d'éventuels chocs sectoriels. Il s'agit en particulier des TIC, de la logistique, des biotechnologies, écotechnologies et des technologies de l'espace. Il faudra continuer à investir dans la promotion de ces secteurs. Il s'agit d'un exercice de longue haleine, mais qui commence d'ores et déjà à porter ses fruits comme en témoignent les 750 entreprises au Luxembourg relevant du secteur logistique et employant près de 13.000 personnes.

Le Jeudi: Quels seront les chantiers majeurs en ce qui concerne l'économie luxembourgeoise pour 2015?

Étienne Schneider: Il faut retravailler en toute sérénité et transparence les projets des quatre plans directeurs sectoriels, et en particulier celui relatif aux "zones d'activités économiques" qui fait partie de nos attributions. Il y a lieu de simplifier et de réformer les différents régimes d'État relatifs aux entreprises afin de les rendre conformes aux dispositions communautaires. Tout en poursuivant le processus de transition énergétique, nous allons continuer à transposer la législation en matière d'efficience énergétique. Dans le domaine du commerce, la secrétaire d'État procédera plus particulièrement à une évaluation des dispositions actuelles en matière d'heures d'ouverture avant de les modifier éventuellement par la suite, le tout en concertation avec les partenaires sociaux. Elle poursuivra aussi son analyse sur la réforme du bail commercial qui vise à éviter à l'avenir des situations abusives envers les locataires. Comme annoncé, tout au long de l'année, le gouvernement mettra en oeuvre, à intervalles réguliers, le dialogue social avec les partenaires sociaux. Le premier des quatre rendez-vous, s'orientant vers le semestre européen, aura lieu fin janvier. Cette liste est loin d'être exhaustive. Il ne s'agit en fait que de quelques chantiers qui nous préoccuperont dans les douze mois a venir.

Le Jeudi: Quelles sont les missions économiques prévues? 

Étienne Schneider: Il est envisagé de conduire une mission officielle en Turquie en février 2015. Fin avril, une mission d'une semaine nous mènera en Tunisie et au Maroc. Le ministère de l'Economie organise une deuxième présence collective luxembourgeoise au salon "Transport Logistic" qui aura lieu à Munich du 5 au 8 mai. Une visite du Salon du Bourget à Paris est prévue pour fin juin. Il s'agit du plus grand salon au monde consacré à l'industrie aérospatiale. Par contre, en raison de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'Union européenne, aucune mission n'aura lieu pendant le deuxième semestre 2015.

Le Jeudi: Quels sont vos souhaits personnels pour l'année 2015 ?

Étienne Schneider: La question m'est souvent posée ces derniers jours, mais la réponse reste toujours la même: passer davantage de temps avec des personnes qui me sont proches.

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