Interview d'Étienne Schneider avec le Jeudi

"Les Luxembourgeois sont accueillants mais, en quelque sorte, ils ont peur de disparaître"

Interview: Le Jeudi

Le Jeudi: Comment abordez-vous la présidence du Conseil de I'UE qui ne commence réellement qu'en septembre?

Étienne Schneider: Je pense que je suis le ministre qui aura le record en termes de présidence de Conseils. J'en ai cinq: Compétitivité, Energie, Justice et affaires intérieures, Défense et ESA/UE. Cela fait beaucoup de réunions, de tours de négociations avec le Parlement et les 28 pays. Les prochains mois seront donc relativement intenses...

Le Jeudi: Vous n'aurez plus beaucoup de place pour les questions nationales...

Étienne Schneider: J'ai le grand avantage d'avoir une secrétaire d'État, Francine Closener, qui pourra heureusement me suppléer. Parce que le problème ce n'est pas le Conseil en soi, mais le grand travail de préparation et les "trilogues", des négociations avec la Commission, avec les 28 et avec le Parlement.

Le Jeudi: La présidence luxembourgeoise met le citoyen au centre de ses préoccupations. Les Grecs seront sans doute dubitatifs...

Étienne Schneider: Le Luxembourg ne décide pas seul de ce qui se passe en Grèce. En tant qu'économiste, je doute néanmoins que les décisions prises fonctionnent. Je pense que le dossier sera de nouveau, à court terme, sur la table. Je ne crois pas qu'avec les paramètres qui ont été retenus la Grèce arrivera à se sortir de ce pétrin. On ne peut pas dire d'un côté que l'activité économique la plus importante est le tourisme et, de l'autre, augmenter la TVA de 10% dans ce domaine. On ne peut pas non plus baisser le pouvoir d'achat et espérer une reprise interne.

Le Jeudi: C'était donc un mauvais accord?

Étienne Schneider: Mon avis d'économiste et de politicien est de dire que ce n'est pas cet accord qui va les aider à s'en sortir.

Le Jeudi: Quelle est votre analyse du référendum à froid?

Étienne Schneider: Après, on est toujours plus malin... Le résultat est clairement une énorme déception. Aussi bien personnellement que pour le gouvernement. Nous pensions que les citoyens seraient plus réceptifs. Malgré cela, j'estime qu'il était juste d'organiser ce référendum, parce que les trois questions posées ont un lien direct avec notre Constitution et il est donc important de demander son avis au peuple. Il l'a donné avec une majorité très claire et cette réponse sera traduite dans la Constitution. Sur le droit de vote résident, nous nous sommes trompés. La majorité des gens le lient émotionnellement à la langue et à la nationalité. Nous pensons que ce n'est pas directement lié, mais nous respectons le résultat; cela se traduira aussi dans la réforme de la nationalité.

Le Jeudi: Qu'est-ce que cela nous dit sur le pays?

Étienne Schneider: Nous ne sommes pas renfermés sur nous-mêmes ou racistes. Sinon, nous aurions d'autres discussions avec un taux d'étrangers de 46%. Les Luxembourgeois sont accueillants mais, en quelque sorte, ils ont peur de disparaître. La moitié de la population n'est pas prête à abandonner cette perte de souveraineté. Le microcosme dans lequel je circule n'est pas représentatif du reste du pays. C'est ce qui, d'un coup, m'est apparu clairement. Je suis tous les jours en contact avec des citoyens à la Fedil, la Chambre de commerce, la Chambre des métiers, dans des entreprises, cela me donne une image qui me fait penser, à tort, que la moyenne c'est ça. C'est une leçon que je tire de cette histoire.

Le Jeudi: Au LSAP, l'aile gauche gronde et fustige le "ministre libéral" Etienne Schneider. Que leur répondez-vous?

Étienne Schneider: Le ministre libéral n'est pas aussi libéral qu'on veut bien le dire. Mais il a un avis clair: il faut d'abord gagner de l'argent avant de pouvoir le distribuer. Mon souci est de faire tourner l'économie pour continuer de financer et de développer notre système social. J'ai toujours dit que cela serait difficile pour le LSAP dans cette coalition parce que les finances de l'Etat ont un vrai problème et qu'il n'y a presque rien à distribuer. Il faut faire des efforts d'économies et cela sera un problème, avant tout pour le LSAP. Parce que nos électeurs ne l'acceptent pas. Les libéraux le voient différemment et les Verts ont aussi d'autres priorités. Nous avons tout fait pour que les citoyens ne ressentent pas grandchose des mesures d'économies. Honnêtement, si on regarde autour de nous, les Luxembourgeois ne s'en sortent pas si mal. On peut dire que c'est un mérite du LSAP d'avoir amorti les mesures afin d'épargner les plus faibles.

Le Jeudi: La crise est-elle derrière nous?

Étienne Schneider: Si je regarde les données économiques, nous sommes clairement sortis de la crise. Si je prends les recettes de l'Etat, nous y sommes encore.

Le Jeudi: Mais les dernières prévisions de croissance du PIB ont quasiment doublé...

Étienne Schneider: Les fluctuations sont énormes. C'est le problème d'une économie très ouverte, quelques transactions suffisent pour changer la donne. C'est impossible de vraiment prévoir. Se débarrasser des volatilités, c'est pour ainsi dire impossible parce que la Place financière est importante et que des transactions énormes se font en un seul un clic. Ceci étant, cela nous donne un peu d'air auquel nous ne nous attendions pas. Le paquet d'avenir a rééquilibré beaucoup de choses. Désormais, la réflexion à mener est de s'interroger sur la manière de renforcer le pouvoir d'achat. On constate qu'il a stagné et que le développement des salaires connaît une très légère hausse, quasiment nulle si on regarde l'inflation. Ce n'est pas dans l'intérêt d'une économie. Ce n'est bon ni pour les entrepreneurs ni pour les citoyens.

Le Jeudi: Pour la réforme fiscale, vous avez déclaré dès le départ que la charge des entreprises n'augmenterait pas. Pourquoi?

Étienne Schneider: Nous disons qu'en temps de crise, pour que les entreprises investissent, il faut une sécurité de planification. Donc, nous avons déclaré dès le début que la charge fiscale générale pour les entreprises n'augmenterait pas au cours de cette législature. Ce fut un signal important pour les investissements. Une déclaration politique pour donner confiance est importante pour le développement du business au Luxembourg.

Le Jeudi: Quelles pistes de réflexion se dégagent pour la réforme?

Étienne Schneider: Au départ, il était question d'une "flat rate", mais on semble plutôt se diriger vers un taux d'affichage à la baisse mais avec une base imposable plus grande. Le but c'est que les entreprises payent la même chose - pas moins -, mais que le taux d'affichage, qui est aujourd'hui beaucoup trop élevé par rapport à la concurrence internationale, baisse. Il faut réduire le taux pour qu'il corresponde à la réalité. S'il est de 29% aujourd'hui, le taux réel est clairement en dessous grâce aux abattements notamment. Au fond, c'est de la cosmétique pour pouvoir mieux se présenter sur le plan international et nous allons dans ce sens. Mais, pour les personnes privées, la réforme se traduira par plus de pouvoir d'achat.

Le Jeudi: La cote de popularité du gouvernement est au plus bas. Des inquiétudes?

Étienne Schneider: Les derniers sondages ont été faits juste après le référendum. Il y avait un climat de méfiance qui a aussi été la base des réponses des sondés. Personnellement, je pense que nous avons fait une erreur d'appréciation lorsque nous avons pensé le paquet d'avenir. L'idée était d'économiser un petit peu à beaucoup d'endroits, dans un esprit de solidarité. Stratégiquement, c'était peut-être une mauvaise décision. La réalité c'est qu'on s'est querellé avec tout le monde. Le point culminant de cette opposition a été atteint lors du référendum. Je suis convaincu que cela va s'améliorer, parce que l'économie va mieux. On remarque que nos décisions produisent des résultats. Et il nous reste trois ans pour inverser la tendance.

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