Interview d'Étienne Schneider avec Le Quotidien

"Tout est mathématique aujourd'hui"

Interview: Géneviève Montaigu (Le Quotidien)

Le Quotidien: L'économie devient de plus en plus circulaire. Peut-on déjà faire un bilan? 

Étienne Schneider: De plus en plus de projets sont conceptualisés de façon à réspecter l'économie circulaire. Un des exemples a fait l'actualité récemment avec Kronospan qui a investi 300 millions sur son site à Sanem, mais il y a aussi l'Auto-motive Campus à Bissen qui est construit selon toutes les règles de l'économie circulaire. Je me suis entendu avec Claude Turmes (NDLR : ministre de l'Aménagement du territoire) pour dire que les prochaines zones d'activité, les fameux 477 hectares que nous aurons à l'avenir, seront aménagées de façon à respecter l'économie circulaire. C'est devenu un principe qui guide toutes nos actions. Il y aura un surcoût, mais il sera bénéfique pour le pays et pour le développement durable. 

Le Quotidien: Le Luxembourg est-il déjà exemplaire dans ce domaine par rapports à ses partenaires européens? 

Étienne Schneider: Je ne dirais pas que nous sommes leaders, mais avec la stratégie Rifkin nous avons mis en place tous les critères pour respecter l'économie circulaire. Nous avons devancé tous les autres pays parce que nous nous sommes dotés d'une vraie stratégie nationale. Il y a des régions dans d'autres pays qui essaient de faire la même chose. Tout ce que l'on construit doit pouvoir être recyclé et réutilisé avec un impact minimal sur l'environnement. Pour reprendre l'exemple des zones d'activité, il n'y aura plus qu'un seul parking construit en hauteur avec des matériaux recyclables et modulables servant à toutes les entreprises. À cet endroit, il y aura des moyens de transport électrique, trottinettes, vélos et voitures, rechargés par des cellules photovoltaïques qui se retrouveront un peu partout sur les toits des entreprises. Les salles de réunion, cantines, crèches, etc., seront communes et construites pour toutes les entreprises.

Le Quotidien: L'impact de la robotisation sur l'emploi et donc sur la croissance effraie toujours autant... 

Étienne Schneider: Au Luxembourg, nous sommes presque à un stade de plein-emploi avec un chômage à 5 % et des milliers de postes qui restent inoccupés. Aujourd'hui, les progrès technologiques avancent beaucoup plus vite que nos formations et un des grands challenges pour le Luxembourg et pour tous les autres pays d'ailleurs, c'est d'adapter nos formations avec les besoins de l'économie et il faut réagir beaucoup plus vite. Ce qui est vrai pour l'économie vaut également pour la santé. Au Conseil des ministres, nous avons une très bonne collaboration entre le ministre de l'Éducation nationale, le ministre de l'Enseignement supérieur et les autres secteurs pour développer des nouvelles formations ensemble comme nous l'avons fait dans le domaine de l'espace. Nous sommes en train de mettre en place, avec l'université du Luxembourg, un master dans le domaine de la logistique parce que c'est devenu une matière très complexe et il n'y a pas d'études pour cela. Il ne s'agit pas seulement pour moi, ministre de l'Économie, d'attirer de nouvelles sociétés au Luxembourg, de nouveaux secteurs d'activité, mais il faut que ces secteurs soient ouverts aux résidents, aux jeunes qui pourront travailler dans ces entreprises.

Le Quotidien: Quelles sont les dernières nouvelles du space mining? 

Étienne Schneider: Je reviens juste de Corée du Sud, où j'étais l'orateur principal d'une conférence sur l'économie de l'espace. Et juste précédemment, j'étais à San Francisco, à Washington et je retourne aux États-Unis en octobre pour être encore l'interlocuteur dans ce domaine. Le Luxembourg a une visibilité énorme dans le domaine de l'espace. Pas plus tard que la semaine prochaine, je serai au Canada pour négocier avec une grande société qui veut s'implanter au Luxembourg. Il y a beaucoup de choses qui bougent et dans les médias étrangers, on parle beaucoup du Luxembourg et de nos avancées.

Le Quotidien: Quelles sont-elles? 

Étienne Schneider: Ici on parle de développement, de projets de recherche, nous sommes dans la phase de rassembler les chercheurs, les start-up qui développent les idées. Ce ne sont pas des gros investissements. Nous mettons en place un fonds qui pourra investir dans ces sociétés qui pourront réaliser ce qu'elles sont en train de développer. Nous sommes au début d'une toute nouvelle économie.

Le Quotidien: Les dossiers Google et Fage sont toujours deux grands points d'interrogation. Où en est-on? 

Étienne Schneider: Concernant Fage, je trouve extrêmement malsain et triste que des dossiers qui sont en cours de développement soient tellement détruits sur la place publique. Le projet initial que Fage avait introduit n'a plus rien à voir avec le projet actuel. Toutes les demandes concernant la protection de l'environnement et de l'eau ont été satisfaites et de grosses adaptations ont été réalisées. Il faut maintenant attendre la procédure commodo et le dossier n'est plus entre mes mains, la décision ne m'appartient plus. Pour ce qui est de Google, en revanche, je partage les critiques. Google doit enfin mettre sur table son projet et dire ce qu'il va construire et comment, avec quelle consommation d'énergie, d'eau, etc. Maintenant que les terrains sont reclassés, il doit mettre les détails sur la table pour que l'on puisse discuter de ce projet. Je me trouve dans une situation délicate et Carole Dieschbourg (NDLR : ministre de l'Environnement) aussi, car on nous demande où en est ce projet. Or il n'y a pas de projet Google à l'heure actuelle. Il ne nous a pas montré ce qu'il comptait réaliser. Il a acheté les terrains et maintenant il faut entrer dans la phase des autorisations et je pense qu'il ne va pas tarder à nous souméttre le projet d'investissement potentiel et nous devons faire attention à ne pas le perdre. Le gouvernement a développé une stratégie sur le digital, sur l'intelligence artificielle et pour attirer les sociétés dans ce domaine, un acteur comme Google serait tout simplement fantastique. Ce serait un aimant. 

Le Quotidien:  Le Luxembourg s'est doté d'un des plus puissants superordinateurs d'Europe baptisé Meluxina. Quel est son rôle dans notre économie? 

Étienne Schneider: Aujourd'hui, nous avons besoin de recherches et donc de capacité de calculs pour développer de nouveaux produits et services. Tout est mathématique aujourd'hui. Le Luxembourg a eu le lead dans l'Union européenne pour développer toute une structure pour l'Europe entière. Le détail important c'est que le Luxembourg aura son superordinateur à lui, accessible à tous avec toute une équipe pour le gérer. Par exemple, une société dans le secteur de l'automobile qui développe un nouveau procédé nécessitant des calculs fait appel à cette équipe qui va se charger de faire ces calculs avec le superordinateur. Idem pour une société dans le domaine de la santé qui va collecter des données sur des personnes atteintes d'une maladie particulière et l'ordinateur va trouver le lien entre toutes ces personnes qui expliquerait cette maladie et il peut même trouver un remède. Si demain il y a une nouvelle mission sur la Lune, le superordinateur va calculer à l'aide des données en sa possession, l'endroit exact où il y a le moins de risque pour atterrir. Le Luxembourg devient une high-tech nation et il est encore plus urgent qu'ailleurs de former les têtes nécessaires pour la gérer. Tout est mathématique aujourd'hui. 

Le Quotidien: Diriez-vous que vos deux portefeuilles, l'Économie et la Santé, se rejoignent?

Étienne Schneider: Oui. La médecine personnalisée est un sujet extrêmement important. Il s'agit de savoir quel médicament convient à quel malade et cela un superordinateur est capable de le trouver à partir de notre ADN. C'est une question d'algorithmes. Avec les dossiers e-health, on peut utiliser toutes les métadonnées et développer des traitements qui puissent marcher. 

Le Quotidien: En parlant de thérapie, il y a eu récemment une pénurie de cannabis médicinal. Le cannabis, victime de son succès? 

Étienne Schneider: Il s'agissait d'une pénurie de livraison. Lorsque l'on a légalisé le cannabis médicinal, il fallait partir d'une estimation des besoins et procéder par soumission publique pour obtenir cette quantité. Il faut donc relancer les procédures car finalement il y a beaucoup plus de médecins que prévu qui en prescrivent. C'est un marché complètement nouveau et ce n'est pas évident d'en trouver. Nous n'allons pas l'acheter dans des pays frontaliers, mais au Canada là où il est produit et lui-même est en rupture de stock de cannabis récréatif, ce qui est la même chose. Le cannabis récréatif a eu un véritable succès là-bas. C'est un peu compliqué comme situation.

Le Quotidien: En attendant, des agriculteurs ici au Grand-Duché sont prêts à en cultiver... 

Étienne Schneider: Je veux bien. Félix Braz (NDLR : ministre de la Justice) et moi-même allons soumettre un projet en automne au Conseil de gouvernement concernant la légalisation du cannabis récréatif. Les grandes lignes, les grands principes selon le modèle canadien et si le gouvernement est d'accord, nous allons charger une équipe pour rédiger le projet de loi. Là encore, nous aurons beaucoup de discussions car encore une fois c'est quelque chose de nouveau, nous sommes le premier pays dans l'Union européenne à faire ceci, mais nous avons signé des conventions internationales qui l'interdit, donc il nous faudra jongler. Notre approche est clairement médicale. Et nous devons aussi nous rendre à l'évidence qu'aucune politique n'a réussi à endiguer le trafic et elle est même néfaste car le marché noir propose des produits de très mauvaise qualité. Nous allons donc assurer la qualité et réglementer la production et la distribution afin que les gens consomment des produits propres. Ce qui est aussi important, c'est d'éviter que les jeunes ne soient en contact avec des dealers qui essaieront constamment de leur vendre d'autres drogues avec des marges plus élevées. Il y a toujours un risque. 

Le Quotidien: Donc le cannabis sera produit au Luxembourg.. 

Étienne Schneider: Oui, puisque c'est illégal dans les autres pays. Nous mettrons en place des licences de production et de distribution et nous sommes en train d'étudier sous quelles conditions les attribuer. Les agriculteurs pourront alors cultiver le cannabis dans des serres sécurisées high-tech.. J'en ai visité au Canada et cela demande des investissements conséquents. 

Le Quotidien: Chacun pourra avoir son petit pot sur le balcon? 

Étienne Schneider: Ce n'est pas encore décidé.

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