Interview de Franz Fayot dans Merkur

"Malgré la crise actuelle, les fondamentaux de l'économie luxembourgeoise sont solides"

Interview: Merkur

Merkur: Vous avez pris vos fonctions le 4 février dernier. Aujourd'hui le pays est plongé dans une crise sanitaire importante avec des conséquences considérables sur l'économie…

Franz Fayot: En effet, peu après ma prise de fonctions, la crise du coronavirus a rapidement dominé ma vie quotidienne. Depuis l'arrêt brutal d'une grande partie des activités économiques à la mi-mars, nous agissons au sein du ministère de l'Économie en mode de gestion de crise, car les effets du confinement se sont propagés à une vitesse fulgurante dans tous les secteurs et à tous les niveaux du tissu économique. Certains indépendants et entreprises ont été obligés de renoncer à exercer leurs activités, d'autres subissent un ralentissement de la demande et d'autres encore maintiennent leur activité, mais dans des conditions parfois très difficiles. Il a donc fallu rapidement mettre en place des mesures de soutien adéquates, évaluer celles-ci et les adapter aux besoins du terrain.

Merkur: Pouvez-vous déjà dresser un premier bilan des retombées du programme de stabilisation de l'économie?

Franz Fayot: Il est prématuré de tirer un réel bilan, voire un quelconque bilan chiffré, de l'ensemble des mesures implémentées au fur et à mesure pour répondre aux besoins de liquidités des entreprises, pour faciliter le financement bancaire et étaler les paiements liés aux échéances fiscales ou sociales. Une des mesures phares du programme visant à stabiliser l'économie est le chômage partiel qui relève du ministère de l'Économie et du ministère du Travail sous l'égide de Dan Kersch. Cette mesure permet de maintenir l'emploi et par conséquent le pouvoir d'achat de milliers de salariés. Le programme de stabilisation a été élaboré dans un temps record. C'est la réponse appropriée pour répondre à l'impact négatif de la crise qui résulte de l'effet combiné des mesures de confinement et de l'affaiblissement de l'économie globale. Les dernières prévisions indiquent que le PIB en volume du Grand-Duché connaîtrait cette année une chute inédite de 6%. Suite aux mesures de déconfinement progressives, la croissance en 2021 devrait présenter un rebond mécanique du PIB à hauteur de 7%.

Merkur: Qu'en est-il du redémarrage des activités économiques?

Franz Fayot: L'objectif principal est évidemment de redémarrer l'économie au plus vite, mais en respectant scrupuleusement les consignes sanitaires. Le retour à la normalité doit se faire progressivement, étape par étape tout en assurant un retour au travail en toute sécurité. Des employés en bonne santé sont le capital le plus important de toute entreprise. La stratégie du déconfinement consiste à trouver le parfait équilibre entre les impératifs de la santé publique et les aspects économiques. Ce n'est pas chose aisée. Je partage l'avis de la ministre de la Santé Paulette Lenert: un redémarrage précipité de l'économie pourrait s'avérer contre-productif dans la lutte contre l'épidémie si jamais les chiffres des nouvelles infections et des personnes hospitalisées en soins intensifs repartaient à la hausse. Le pire scénario, d'un point de vue économique également, serait de devoir passer par un nouveau confinement dans quelques mois.

Merkur: Quel sera l'avenir pour l'économie luxembourgeoise?

Franz Fayot: Le coronavirus restera omniprésent pendant de longs mois encore et notre société devra s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement pour conjuguer les impératifs de la crise sanitaire, notamment en fonction des capacités hospitalières, avec le besoin de soutenir l'économie. Ce qui me rend optimiste est que, malgré la crise économique actuelle sans précédent, les fondamentaux de l'économie luxembourgeoise sont solides. Comparée à d'autres pays, la situation saine des finances publiques nous donne une certaine marge de manœuvre pour définir un plan de relance significatif au secours de l'économie nationale.

Merkur: Comment voyez-vous cette relance post Covid-19?

Franz Fayot: Le plan de stabilisation de l'économie a pour objectif d'atténuer les conséquences sociales et économiques de la crise sur le court terme. Chaque crise apporte son lot d'enseignements qu'il faudra prendre en compte à l'avenir pour en tirer les bonnes leçons pour le bon fonctionnement sur le long terme. L'importance du système de santé est devenue particulièrement visible au cours de cette crise. Les infrastructures sanitaires devront notamment être développées davantage afin d'être en mesure de contrecarrer d'éventuelles crises futures. Dans le même ordre d'idées, le renforcement d'une base solide de personnel de santé devra être favorisé. Après la crise viendra le temps de la reconstruction. Ce sera l'opportunité de repenser notre société et de favoriser un autre modèle qui permettra une meilleure résilience économique du pays face à des crises comme celle du Covid-19. A mes yeux, il est indispensable de maintenir l'ambition affichée d'une économie durable qui s'inscrit dans le respect des ressources naturelles et qui sert l'intérêt commun. Il ne s'agit pas de renouer coûte que coûte avec une croissance sans limites. Pour le développement futur, nous devons continuer à prendre en compte les préoccupations en matière de protection de l'environnement, d'une utilisation plus efficiente des ressources, du respect de l'environnement et de la qualité de vie.

Merkur: Pouvez-vous donner un exemple concret?

Franz Fayot: La crise actuelle a accéléré de manière flagrante la digitalisation, notamment par le recours massif au télétravail. La digitalisation est un axe stratégique primordial qui permet à la fois d'augmenter la productivité des ressources disponibles et de réduire les impacts environnementaux. Les réflexions menées depuis 2017 dans le cadre de la stratégie de Troisième Révolution Industrielle, plus connue sous le nom Rifkin, restent aujourd'hui plus que jamais pertinentes. La sortie de crise et la relance économique devront s'inspirer de ces scénarios pour entamer une société numérique, intelligente et durable. Il s'agit d'emmener les entreprises dans la transition écologique et digitale que nous étions en train de vivre déjà avant la crise.

Merkur: Quel rôle peut jouer un ministre de l'Economie en temps de crise?

Franz Fayot: Je me considère comme un "ministre travailleur" et comme le capitaine d'un navire qui traverse une sérieuse tempête, mais avec un navire très solide et un équipage motivé et compétent. Quelqu'un qui œuvre pour les entreprises, mais aussi pour leurs salariés dont les compétences et l'engagement constituent la richesse de l'économie luxembourgeoise. Je suis très à l'écoute des entreprises. Au cours des dernières semaines, j'ai enchaîné, dans la mesure du possible, les visites d'entreprises ainsi que les visioconférences avec des dirigeants de sociétés, des syndicalistes, des représentants de chambres professionnelles et des fédérations patronales. Il m'importe de rester informé de la situation sur le terrain, d'avoir une vue claire de l'impact de la crise sur les activités des entreprises et sur le bien-être de leurs salariés ainsi que de connaître les desideratas des entrepreneurs. Ceci me permet de défendre au mieux leurs intérêts et attentes dans le cadre de la politique gouvernementale anti-crise.

Merkur: Vous êtes avocat de formation, spécialisé en droit des affaires. Vous avez donc une compréhension particulière des difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises actuellement. Qu'avez-vous envie de leur dire?

Franz Fayot: Que ce gouvernement fait tout pour leur permettre de sauver leur entreprise et les emplois qu'ils ont créés. La finalité du programme de stabilisation de l'économie que nous avons mis en place est de venir en aide et de garantir un filet de sécurité à toutes les entreprises qui subissent une grave perte de revenus et d'activité. Nous avons dit dès le départ que nous étions prêts à améliorer ce paquet de mesures si le besoin s'en faisait sentir. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait. L'enveloppe globale des mesures est entretemps passée de 8,8 milliards d'euros à un total de 10,4 milliards d'euros, soit 17,5% du PIB, ceci suite à la prise en compte des mesures sanitaires, à d'autres initiatives ainsi qu'aux nouvelles mesures décidées depuis l'annonce du programme le 25 mars.

Merkur: Vous avez reçu la politique et le socialisme en héritage. Que signifie être socialiste à l'heure actuelle au Luxembourg?

Franz Fayot: Je suis socialiste par conviction. Je suis devenu membre du LSAP en 1994. J'ai été élu à la Chambre des députés pour la première fois en 2013. Pendant 6 ans, j'ai présidé la commission parlementaire en charge des dossiers économiques. La crise actuelle a révélé au grand jour la fragilité d'une globalisation outrancière. Le coronavirus a mis en exergue un grand nombre d'inégalités sociales et économiques. A cela s'ajoute un repli nationaliste dans beaucoup de pays mettant en cause au sein de l'Europe la libre circulation des biens et des personnes qui a si bien profité au Luxembourg par le passé. Dans l'ère post-Covid-19, il faudra éviter de reproduire la politique d'austérité qui a été pratiquée après la crise de 2008. Je suis donc persuadé que le Covid-19 remet plus que jamais le socialisme à l'ordre du jour.

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