''Nous ouvrons des fronts partout''

Interview: Olivier Tasch (Le Jeudi)

Le Jeudi: Après huit mois à peine, pouvez vous vous risquer à un premier bilan de l'action gouvernementale?

Étienne Schneider : Evidemment! Quand je lis çà et là, qu'à part le mariage homosexuel rien n'a été fait, ça m'agace. En huit mois, nous avons entamé la séparation de l'Eglise et de l'Etat, réformé l'avortement, les plans sectoriels sont bouclés et ont été présentés, le tram est voté, la loi omnibus - le projet de Juncker prévoyait la modification de trois lois, il en modifie désormais treize avec trente mesures - est déposée, l'accord salarial avec la fonction publique est scellé, la réforme du pacte logement et des ‘’Baulücken’’ est aussi votée, la réforme de la police est entamée, la question des bourses d'études est réglée - même si cela ne plaît pas à tout le monde -, le budget nouvelle génération est en cours, nous avons pris la décision d'augmenter la TVA, la question de l'index est réglée jusqu'à la fin de la législature, la réforme de l'Adem continue, la garantie jeune a été mise en oeuvre, le FNR a un nouveau budget de 232 millions... Bon, la liste n'est pas exhaustive mais en huit mois nous n'avons pas vraiment chômé.

Le Jeudi : Les prévisions de croissance du PIB pour 2014 sont bonnes. Merci la conjoncture? Ou bien y a-t-il une action politique mesurable?

Étienne Schneider : Oui, notre action est mesurable. Précisément parce que cette croissance ne vient pas du secteur financier mais des secteurs marchands, de l'industrie, du tourisme. Auparavant notre croissance était quasi intégralement due à la place financière. Mais aujourd'hui la diversification économique mise en place depuis quelques années et initiée par Jeannot Krecké, porte ses fruits. La stratégie de multispécialisation dans l'ICT, la logistique, les éco- et biotechnologies est probante. Je citerais aussi la politique qui consiste à prêter main forte aux entreprises via le chômage partiel, les aides d'Etat, les aides pour la recherche -développement, tout comme la création du programme d'aide aux jeunes entreprises innovantes ou encore les incubateurs. Ce n'est pas moi qui le dis mais le Statec: La croissance réelle du PIB, qui est actuellement estimée à 3% pour 2014, provient en majorité des branches marchandes hors secteur financier. Je ne me réjouis pas pour autant que le secteur financier ne croisse pas de la même manière.

Le Jeudi : Malgré l'embellie, des économies d'un milliard d'euros seraient nécessaires jusqu'en 2018. Quand ces mesures d'économies seront-elles présentées?

Étienne Schneider : Un milliard, voire plus. Les pertes de recettes sur la TVA du commerce électronique sont difficiles à estimer parce qu'on ne sait pas quelle va être la décision des entreprises concernées. Quoi qu'il en soit, le gouvernement va annoncer un paquet de mesures dès la rentrée.

Le Jeudi : Les dernières années il y a déjà eu plusieurs paquets d'économies, la marge de manoeuvre n'est-elle pas de plus en plus serrée et donc difficile à porter politiquement?

Étienne Schneider : Les "low-hanging fruits" (ndlr: objectifs faciles à atteindre) ont tous été cueillis. Nous allons donc être confrontés à bien des réticences face à tout ce que nous voulons entreprendre. Politiquement c'est plus difficile parce qu'on s'en prend aux acquis. Celui qui dispose d'un logement de fonction avec un loyer de 300 euros mensuel et qui devra désormais en débourser 1.000 ne sera sûrement pas content. Il va évidemment faire pression, par le biais de son syndicat notamment, pour conserver cet avantage. Donc pour nous, la rentrée sera rude et cela durera au moins jusqu'au vote du budget. Tout le monde s'accorde sur le fait qu'il faille faire des économies, nous allons donc présenter toutes les mesures en même temps pour que tout le monde se sente concerné et n'ait pas l'impression d'être le dindon de la farce. Nous n'usons pas de la tactique du salami, ce qui est évidemment plus délicat politiquement parce que nous ouvrons des fronts un peu partout.

Le Jeudi : Pouvez-vous nous livrer des détails de ces fameuses mesures?

Étienne Schneider : Il s'agit d'une centaine de mesures prévues pour soulager le budget de l'Etat. Nous les détaillerons en temps utile et allons les discuter avec les différents partenaires. Je peux vous dire que nous allons couper dans les frais de fonctionnement. Un exemple: les voitures de police. Le budget sera réduit d'un quart pour les achats. Ces voitures rouleront plus longtemps mais ce n'est pas comme si elles étaient toutes bonnes pour la casse. Avec ce type de mesures, on peut économiser un demi -million par an. D'autres mesures sont plus difficiles à évaluer en termes d'impact financier. Il en va ainsi des logements de fonction. Sont-ils vraiment nécessaires? Pour la police, il y a un périmètre d'habitation, un concept qui date du temps où on allait encore travailler à cheval... Nous allons donc supprimer ce périmètre d'habitation et il n'y a donc pas de raison de donner des logements de service. Sur les 800 logements concernés, certains devront toutefois être conservés. A la louche, on peut dire que 700 logements seront ciblés. Qu'en faire? Les vendre avec un droit de préemption pour ceux qui y habitent? Les céder au Fonds du logement? Ces questions restent à régler et le seront. Il y a enfin des économies à long terme. Je garde l'exemple de la police, avec la question des commissariats de proximité qui ne font pas forcément sens. Il faut procéder à des fusions qui permettront notamment d'étendre les heures d'ouverture pour les citoyens et d'avoir plus de policiers sur le terrain. Même si je souhaite un certain nombre de fusions, il va d'abord falloir que j'en discute avec les communes responsables, c'est donc une économie difficile à chiffrer au préalable.

Le Jeudi : Dans le programme de coalition votre ministère est responsable du "Nation branding". De quoi s'agit-il exactement et où en est le projet?

Étienne Schneider : C'est un marketing pour le Luxembourg. Il ne s'agit plus uniquement de vendre le Luxembourg comme terre d'investissement mais de donner une image de marque générale. C'est ce que font les Suisses, c'est un peu le modèle à suivre. Le but est d'attirer encore plus de touristes mais aussi une main-d'oeuvre qualifiée, notamment dans les domaines des hautes technologies, que nous n'arrivons plus à trouver dans le bassin de la Grande Région. Francine Closener (ndlr.: secrétaire d'Etat à l'Economie) chapeaute le projet, une agence de communication a été retenue. Il s'agit de regrouper tout ce qui "fait" le Luxembourg dans un concept et une image de marque. A côté de cela s'ajoute l'idée des "Luxembourg Houses". Il en faut en Ville, à l'aéroport, au centre de conférence du Kirchberg. Ce seront des magasins qui vendront des produits luxembourgeois.

Le Jeudi : En tant que ministre de la Défense, vous participez au sommet de l'Otan ces 4 et 5 septembre. Vous comptez proposer d'augmenter l'effort de défense du pays. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il retourne?

Étienne Schneider : Comme chaque membre de l'Otan, nous devons fournir un effort de défense. Ce n'est pas contraignant mais tout pays est censé y consacrer environ 2% de son PIB. Avec 0,4%, le Luxembourg est le dernier contributeur. Ma doctrine diffère de mes prédécesseurs qui ont décidé d'investir dans l'armement, en l'occurrence des véhicules et un avion. J'ai découvert que la rénovation de la caserne de Diekirch peut être intégralement considérée comme effort de défense. On fait ainsi d'une pierre deux coups puisque cela profite aussi à l'économie du pays. C'est dans le même esprit que s'inscrit le projet de satellite militaire avec SES, lequel pourrait même rapporter de l'argent. J'aimerais aussi que la rénovation des pistes de l'aéroport fasse partie de l'effort de défense. Il y a aussi l'idée de mettre un data center à disposition de l'Otan. Il faut que cet effort de défense profite tant soit peu à l'économie du pays. Les autres font la même chose lorsqu'ils achètent des avions ou des tanks à leurs entreprises nationales.

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